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DÉ - CHRISTIANISATION: MOT FALLACIEUX?

Le dernier rapport de l’Office fédéral de la statistique montre que « entre 2010 et 2018, la part des catholiques romains et des réformés évangéliques dans notre pays a diminué (respectivement de 3 et 5 points de pourcentage), à l’inverse de celle des musulmans ou communautés issues de l’islam (+ 1 point). La part des personnes sans appartenance religieuse a progressé de 8 points.

Alors, assistons-nous à un « effondrement » du christianisme en Europe ? C’est la question que s’est posée Guillaume Cuchet, professeur d’histoire contemporaine français, dans son dernier livre*.

Et c’est par la négative qu’il y a répondu lors d’une récente conférence à l’UNIGE. Non, nous ne vivons pas « le krach du catholicisme : ce n’est pas parce que les indices – qui va à la messe, qui fait baptiser ses enfants – se sont effondrés depuis le début du siècle dernier que nous avons pour autant cessé d’être chrétiens. Nous le sommes autrement, dans un contexte historique qui a profondément changé sur tous les plans. »

Il a rappelé que « Gabriel Le Bras, fondateur en France de la sociologie religieuse, avait publié en 1963 un texte resté célèbre, Déchristianisation, mot fallacieux, au terme duquel il concluait que, au fond, une déchristianisation française, mais également européenne, paraissait assez douteuse ».

Pourquoi ? « Non seulement le monde d’hier était beaucoup moins chrétien qu’on l’imagine mais le monde d’aujourd’hui l’est peut-être davantage, a souligné Guillaume Cuchet, au sens où, en 1963, ceux qui avaient vécu la trajectoire de l’Église entre le début du siècle et les années 1960 pouvaient légitimement penser qu’ils avaient assisté à un épisode de rechristianisation de la société française : en effet l’Église de France, dans les années 1960, paraissait beaucoup plus en forme qu’au début du siècle, lorsque

la séparation de l’Église et de l’État l’avait notablement affaiblie et que des mouvements de renouveau s’étaient développés à partir des années 1930, annonciateurs de Vatican II. Pour Le Bras les indices de la catholicité ne nous renseignent au mieux que sur la docilité des fidèles à l’égard des prescriptions canoniques de l’Église, soit beaucoup plus que sur leur foi réelle. »

Alors quelle est la valeur des statistiques? Les données enregistrées au XIXe siècle et dans la première partie du suivant n’ont pas le même sens selon l’époque, dans la mesure où elles ne tiennent pas compte des mutations du sens de la pratique. De fait le terme de déchristianisation n’est pas un mot « fallacieux » mais plutôt, pour Guillaume Cuchet, un mot « équivoque », appelant des clarifications en fonction de l’évolution historique des contextes.

Cela étant, nous sommes bien en train de vivre des changements importants : l’arrivée de religions d’ailleurs, la non-affiliation religieuse très représentée dans les nouvelles générations, en particulier.

En effet, a-t-il rappelé, « selon une récente étude européenne sur la religiosité des 16- 29 ans en Europe, une majorité de jeunes déclarent être sans religion ». Mais pas forcément non croyants.

On devrait donc plutôt parler d’un déclin que d’une déchristianisation. Mais « plus ce déclin s’accentue, plus les mouvements dans l’Église cessent d’être des mouvements dans la société et d’avoir des effets sociaux, voir en France La manif pour tous en 2013 : beaucoup de monde dans la rue contre le mariage homosexuel, mais un monde isolé, quantitativement, socialement et moralement », a-t-il conclu.

*  Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement. Guillaume Cuchet, Éditions du Seuil

 

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